Reprendre une exploitation agricole aujourd’hui relève du défi. Pourtant, la moitié des agriculteurs en France partiront à la retraite d’ici 2030. Pour comprendre pourquoi si peu de jeunes s’installent, j’ai interrogé mes camarades de BPREA, puis plus largement des jeunes et futurs agriculteurs.
Un secteur agricole en péril : disparition des exploitations et vieillissement des exploitants
C’est lors d’une discussion avec mon maître de stage que j’ai pris conscience de l’ampleur du problème. Sur leur commune, 10 à 15 fermes disparaissent chaque année. Avant, 5 fermes jalonnaient la route de son exploitation. Aujourd’hui, il n’en reste que deux : la ferme diversifiée de sa famille et une exploitation de porc, qui a racheté les terres des trois autres.
En 1988, la France comptait plus d’un million d’exploitations agricoles. En 2020, ce chiffre est tombé à 390 000. Ce déclin est d’autant plus inquiétant que la moitié des exploitants actuels ont plus de 55 ans et atteindront l’âge de la retraite d’ici 2030.
Que vont devenir ces fermes ?
Si rien ne change, beaucoup disparaîtront ou seront absorbées par de grandes structures industrielles, menaçant la diversité agricole et notre souveraineté alimentaire.
Une situation absurde
Toute l’absurdité de la situation est là : Nous avons des exploitations qui cherchent des repreneurs. Nous avons des personnes motivées, prêtes à s’installer et à redonner vie à ces terres. Et pourtant, s’installer reste un parcours du combattant.
L’enjeu est double : La vie des agriculteurs est en jeu. Notre avenir alimentaire dépend d’eux. Le temps presse : nos fermes sont notre avenir. Si nous ne faisons rien maintenant, que mangerons-nous demain ? Des cailloux ?
Mais qui suis-je ? Après un diplôme d’ingénieur innovation, j’ai accompagné managers et dirigeants sur les sujets de l’innovation, du numérique et de l’agilité. Souhaitant m’installer pour créer une exploitation diversifiée avec notamment un verger haute tige, j’ai suivi un BPREA Arboriculture pendant 18 mois. J’ai mis de côté ma vie personnelle pendant cette période, jonglant entre mon emploi, la formation et les stages. Aujourd’hui, je ne suis pas installée, j’y ai renoncé pour tout un tas de raisons : difficultés physiques, besoin financier, temps de mise à fruits d’un verger haute tige, difficulté d’accès à la terre agricole, etc. Je n’ai cependant pas fait une croix sur le secteur agricole. Non, je souhaite aider les agriculteurs au quotidien. Pour cela, je m’appuie sur mes compétences d’avant et mes compétences acquises durant mon BPREA pour aider les entreprises agricoles à gagner temps et sérénité au quotidien.
Bref assez parlé de moi et du pourquoi j’ai choisi de faire cette étude. Je laisse donc la parole à toutes les personnes qui m’ont partagé leur parcours.
Parcours de jeunes agriculteurs
Guillaume Dessinger, La ferme à Guigui.
Guillaume nous parle des difficultés rencontrées pour s’installer : ‘Parcours administratif très long. Inconnu sur les débouchés de vente possible. On se sent seul, livré à sois même.’ Puis, une fois installé, ce n’est pas beaucoup plus simple entre le ‘manque d’expérience, le manque de temps par rapport à la saisonnalité. L’inspection de la DDT, de la DRAAF et de la répression des fraudes dès la première année d’installation.’ Et puis, ‘J’ai touché mes aides DJA qu’au bout de 18 mois après le dépôt de dossier.’ Pour lui, ‘il faut avoir un entourage familial proche et aidant pour ne pas subir le contre coup de la fatigue, du stress et du manque de rémunération.’
Anonyme, souhaitant s'installer.
Elle nous explique pourquoi elle n’est pas encore installée. Elle nous dit qu’elle a un ‘profil atypique’ et rencontre des ‘difficultés à trouver de la terre’ avec notamment ‘deux tentatives non abouties avec Safer.’ Elle ajoute : ‘L’accès à la terre est totalement verrouillé (par les plus gros) dans beaucoup de régions.’ Elle s’est ‘finalement installée sur 4000m2 et [a] changé de projet, [a] suivi une autre formation : d’un projet arbo à un projet naturopathe avec l’espoir de pouvoir mettre en œuvre une petite production de plantes médicinales…’
Amandine Benoist Largeaud, GAEC La passion.
Amandine nous partage les difficultés qu’elle a rencontré pour s’installer : Ce sont ‘surtout des difficultés d'ordre administratif : peu de soutien de la chambre d'agriculture voir même des découragements et un programme informatique imbuvable même incompréhensible. En plus, ils font faire des formations obligatoires sans s'adapter réellement au JA. Je me suis retrouvée en pleine formation BPREA de l'ESA à devoir faire une autre formation et je te le donne en mille sur les statuts en agricole (le vendredi et le lundi d'après on avait la MÊME à l'ESA)’ Elle continue avec les aspects plus positifs : ‘Heureusement que je me suis installée en GAEC car les autres m'ont bien aidée ainsi que ma banquière qui a était au top, on a repris les chiffres et elle m'a même remotivée pour la suite.’ Pour elle, ‘il faut vraiment accompagner les jeunes dans le parcours « du combattant » qu'est l'installation et pas seulement sur le plan des chiffres mais aussi sur le plan psychologique. On se lance dans un projet de vie lorsque qu'on s'installe et ce n'est pas assez mis en avant. Comme la passion du métier qui reste notre lot de tous les jours. Lors du parcours d'installation, on est écrasé par la lourdeur et lenteur administrative ainsi que par toutes les demande à faire à telle ou telle instance’
George, installé.
George nous partage ces difficultés : ‘2 ans de retard avec la prime DJA. 2 ans de retard concernant les fonds FEADER, [qui ne sont] pas encore arrivés. [C’est] le parcours du combattant pour chaque construction agricole.’ Il continue avec ‘le parasitisme MSA. Les aides PAC toujours en retard. Une chambre d’Agri inexistante’. Pour lui, ‘la disparition du monde agricole paysan est bien organisée avec le concours de l’état.’
Anonyme, installée.
‘Je suis installée depuis que j'ai eu mon diplôme en production ovin viande sur 18 hectares. Je n'ai pas eu de difficulté particulière’ pour m’installer. Par contre, une fois installée, cela peut se compliquer : ‘Je dois donner minimum 3000 euros de MSA par an plus les frais comptables, etc. Tout cela, je l'avais prévu dans le prévisionnel. Je le savais. Mais je ne pensais pas avoir autant d'imprévus sur les clôtures, les vermifuges, etc. depuis que je suis installé je ne me suis jamais tiré un seul salaire ! Au lieu de m'agrandir comme j'avais prévu (doubler le cheptel), je vais garder mes 50 brebis et passer cotisant solidaire pour ne plus payer de MSA et de frais comptable. Je garde 7 hectares et loue le reste.’ Pour parler plus globalement du métier d’agriculteur ‘en gros, je pense que c'est vraiment un métier qui se transmet de génération en génération ou alors il faut commencer très jeune.’
Audrey, installée.
Audrey nous partage les difficultés rencontrées pour s’installer, la première qu’elle cite est de ‘trouver du foncier’ puis elle ajoute ‘relations humaines et dialogue pour récupérer des terres en fermage’. Une fois installée, de nouvelles difficultés sont arrivées : ‘Charge mentale. Production difficile avec une année très compliquée niveau météo’. Pour elle, ‘il faut vraiment être entouré professionnellement et personnellement pour y arriver et être sacrément déterminé.
Anonyme, installée.
Elle nous partage les difficultés qu’elle a rencontrées pour s’installer : ‘J'ai eu du mal à avoir des informations claires sur certaines réglementations, notamment l'accès à l'eau par exemple (autorisations de forer, prélèvements autorisés, etc.) ainsi que les acteurs à contacter pour avoir un accompagnement sur ces questions. Des difficultés également avec la MSA qui m'a indiquée que je n'avais pas la surface nécessaire pour être considérée comme installée alors que cette notion n'avait jamais été abordée, ni en BPREA ni dans mon parcours de demande de DJA. J'ai pu finalement contourner cette interdiction grâce à mon temps de commercialisation en vente directe, mais après avoir fait 18 mois de BPREA, d'avoir acheté un terrain et commencé mes investissements, apprendre que je devais rester cotisante solidaire me paraissait lunaire.’ Elle ajoute : ‘Globalement, beaucoup d'interlocuteurs à gérer, que ce soit à la chambre d'agriculture, le cabinet comptable, les fournisseurs, les banques, Pôle emplois, etc. et beaucoup qui souvent ne semblent pas du tout formés ou au courant de particularités qui nous concernent en tant qu'agriculteurs.’ Puis, une fois qu’elle a eu ses terres, elle a fait face à une contradiction : ‘Pour la demande de la DJA, interdiction d'avoir commencé les investissements avant l'installation officielle mais obligation de produire la première année de l'installation.. Or lorsqu'on créer une entreprise agricole (contrairement à une reprise), difficile de faire les travaux d'installation en même temps que le lancement de la production.’ Elle résume donc son début en tant qu’agricultrice ainsi : ‘La difficulté principale la première année, c'est donc jongler avec tout : assurer la production, la commercialisation et en parallèle de continuer à devoir assurer des travaux liés à l'installation (dans mon cas en maraichage : montage des serres, de l'irrigation, raccordements électriques, montage des chambres froides, etc.). ‘ Sa conclusion ? ‘Un vrai parcours du combattant, qui au moins aura le mérite de tester notre réelle motivation.’
Témoignages de futurs agriculteurs
Anne, souhaitant s'installer.
Anne n’est pas encore installée, elle nous explique pourquoi : ‘Ne connaissant pas trop la zone d'installation, j'avance sur une cartographie du coin et un prévisionnel pour m'assurer de ce qui peut passer ou non niveau budget. Entre temps, je fais du bénévolat dans une association qui aide à l'installation, cela me permet d'avoir des contacts locaux et d'être au courant de ce qui se passe. La zone de recherche a été défini en fonction de plusieurs critères que je me suis donné, en particulier des critères économiques et critères pratiques (zone où il y a des potentiels clients, zone où il y a un véto rural, zone où l'abattoir n'est pas trop loin...). Je prends du temps, car je n’ai pas envie de me tromper et de m'enfoncer dans un gouffre parce que je suis seule.’ Plus globalement, elle nous partage ce qu’elle pense du parcours pour s’installer : ‘ Quand on n'est pas « implanté » = connaissances, famille... c'est quand même plus compliqué. Depuis que je fais du bénévolat dans cette association, on me parle de foncier potentiellement dispo à droite ou à gauche. C'est surtout du bouche à oreille, dont je ne serais surement pas au courant si c'était uniquement par recherche foncière internet. C'est vraiment important ++ de se construire un réseau ! Sans réseau, je crois vraiment que l'installation est plus complexe. Quand il s'agit d'administratif pointu, c'est bien de savoir où demander l'info... ‘ Puis elle ajoute : ‘ La persévérance est importante ++ quand on veut s'installer. Je trouve qu'il y a tellement de paramètres complexes, que ceux qui s'installent sont déjà des sacrés combattants !’
Mael, souhaitant s'installer.
Aujourd’hui, Mael n’est pas encore installé suite à l’ ‘échec d'un premier projet de reprise puis la longueur des démarches. C'est long (déjà deux ans et demi depuis la sortie du BPREA)’
Anonyme, souhaitant s'installer.
Il nous explique pour il n’est pas encore installé : ‘Je voulais d'abord gagner en expérience en faisant des saisons. Après l'accès au terrain et la rencontre de d'autres porteurs de projet pour la création d'un projet collectif restent long et compliqué.’
Matthieu Cretté, souhaitant s'installer.
Matthieu n’est pour le moment pas installé ‘parce que financièrement, [il a] besoin d'avoir un revenu et donc de travailler. A 46 ans, [il] ne bénéficie ni de dispositif d'aide à l'installation, ni du chômage ni d'épargne qui [lui] permette de subvenir aux besoins de [sa] famille pendant cette installation. [Il doit] donc d'abord sécuriser [son] activité principale puis [il pourra] développer une activité agricole dont [il ne dépendra] pas complètement financièrement.’ Il voit les aspects positifs de cette attente : ‘Cela me donne le temps de mieux connaitre ma zone d'installation et les exploitations des alentours, de regarder/chercher des terrains afin de préparer une installation à temps partiel avec un investissement limité.’ Il nous parle également de sa formation, un BPREA : ‘Je suis satisfait de la formation BPREA que j'ai suivie. Même si elle ne suffit pas techniquement à être au point techniquement, elle m'a mis en face de nombreuses réalités.’
Romain Revel, souhaitant s'installer.
Romain n’est pas encore installé, il avait ‘d'autres projets avant de se fixer’. Pour lui, ‘la voie classique via les différents opérateurs du monde agricole (chambre, safer, etc.) est inefficace. Pour se donner les meilleures chances d'installation, il faut s'ancrer dans un territoire, rencontrer un maximum d’agriculteurs, d'élus locaux, de commerçants et d'associations locales. C'est un travail de longue haleine et il ne faut pas espérer s'installer dans un territoire nouveau qu'on ne connait pas par avance.’
Anonyme, souhaitant s'installer.
Il souhaite s’installé mais il ne l’ait pas encore puisqu’il vient ‘d'obtenir [son] diplôme. [Il rencontre des] difficultés à trouver un terrain. Même sur un terrain familial, c'est compliqué. Les attitudes ont changé depuis [qu’il a] commencé à planter quelques arbres.’ Côté difficulté, il ajoute ‘Tout se fait sur internet donc on s'y perd facilement’.
Anonyme, NIMA, future éleveuse de chèvres, souhaitant s'installer.
Elle se décrit comme une NIMA*, future éleveuse de chèvres. Elle nous explique pourquoi elle n’est pas encore installée : ‘Pas assez solide pour le moment avec des sons de cloches différents entre chambres d'agriculture (décentralisation) et safer’. Pour elle, le parcours d’installation ‘ne prend pas assez en compte la nouvelle génération (reconversion, plus ou moins de 40 ans) et NIMA. *NIMA : Non Issu du Milieu Agricole
Autres témoignages
Marine, hésitant à s'installer.
Marine nous confie les éléments qui la font douter sur son installation, elle a des ‘Craintes sur les évolutions climatiques ne permettant pas d'être autonome en fourrage, et donc de dépendre d'intrants extérieurs mettant en péril la viabilité économique du modèle d'élevage.’
Patrick Lange, ayant renoncé à s'installer.
Patrick a envisagé s’installer en tant que maraîcher. Il nous raconte pourquoi il ne s’installera finalement pas : ‘J'ai utilisé la formation de l'ESA sur 18mois pour me tester et prendre le temps de découvrir le monde agricole. Le maraichage est très physique et après réflexion, je ne pense pas être capable d'assumer la charge physique - j'ai 51 ans ! J'avais pensé à une petite installation, à mi-temps, mais la charge administrative est presque aussi élevée que si j'étais à plein temps, donc j'aurais réduit beaucoup mon temps de production surtout. De plus, la conjoncture s'est largement dégradée avec des coûts d'installation en forte augmentation - le prix des tunnels à +40% - et le pouvoir d'achat en baisse avec des répercussions sur les ventes de légumes bio - en baisse - ce qui a contribué à ma décision de ne pas franchir le cap.’